Les auzels de lonh, ensemble de musique médiévale

Créé autour du programme Tan cuiaua saber damors, par Frédéric ALBOU, Les auzels de lonh, groupe de musique médiévale, se veut un prolongement de l’ensemble vocal Vt Mvſica Poeſis, destiné à couvrir le répertoire polyphonique, sous l’angle de la relation entre textes et musiques.

Les auzels de lonh prolongent Vt Muſica Poeſis en ce que ce groupe est également particulièrement attentif à la relation entre poésie et musique. Mais, comme à l’époque où son répertoire était pratiqué, l’écriture polyphonique ne s’était pas encore développée, dans les mises en musique des poésies profanes, et que les poètes-musiciens, troubadours ou trouvères, s’accompagnaient souvent d’instruments, la nouvelle formation musicale, entourant un ou deux chanteurs de plusieurs musiciens, a choisi pour nom un fragment de vers de la célèbre chanson de Jauffré Rudelh, évoquant son Amor de lonh, “Lan can li iorn ſon lonc en may”.

Aussi bien, ces drôles d’ “oiseaux migrateurs” sont-ils, en effet, dans cette lyrique amoureuse, les messagers de l’amour, autant que d’un genre nouveau, qui se développe, en Europe, d’abord méditerranéenne, puis nordique, sur les ruines d’un art gréco-romain devenu impraticable (les lois linguistiques ayant changé), et sous l’influence de genres poétiques et lyriques fréquentés, tant dans l’Andalousie musulmane, qu’au cours des Croisades.

La destinée de Jauffré Rudelh scelle symboliquement cette rencontre (annoncée par son maître, Guillaume de Poitiers), puisqu’il s’embarque dans la catastrophique Troisième Croisade, pour tenter de rencontrer la dame qu’il chante, et qu’il aime éperdument, la Comtesse de Tripoli…

Le nom choisi pour cet ensemble souligne aussi l’autre dimension de ce répertoire, qui prend une résonance tout à fait particulière, de nos jours: les poètes-musiciens du Moyen-Âge étaient amoureux de la nature, du vivant, sous toutes ses formes. Les textes font de fréquentes mentions des changements de saisons, des fleurs, plantes, oiseaux et animaux… et les lettrines des manuscrits développent elles-mêmes des motifs végétaux ou animaux.

C’est pourquoi les programmes que nous développons seront également l’occasion de nous interroger sur le rapport que nous choisissons de tisser avec notre environnement. 

Peut-on aimer, véritablement, en étant indifférent à la Nature?

Peut-on aimer, en perdant de vue notre responsabilité, de prendre soin de ce qui nous entoure… comme de nous-mêmes?

Des plasticiens sont invités, à tracer le lien entre les lettrines des manuscrits, et les lettrages des graffeurs de rues, tout en proposant des éléments simples de traductions, pour comprendre les textes (chantés et récités en occitan, et dans les différentes langues d’oil, au Nord).

L’ensemble propose de réunir des instruments choisis en fonction des besoins expressifs des programmes, autant que d’interrogations historiques et musicologiques.

Par exemple, la question de l’authenticité historique, concernant les chansons de la première génération des troubadours, est en elle-même problématique, dans la mesure où les manuscrits par lesquels nous connaissons leurs textes et musiques ont au minimum 70 ans de retard par rapport à la création des oeuvres, bien souvent, même, 100 à 150 ans. Quelle époque référente faut-il donc choisir, quand la source écrite qui nous sert de référence est elle-même en décalage, par rapport à l’origine des oeuvres?

Nous choisissons donc de garder une certaine souplesse, et de rechercher une cohérence sonore, et une force dans la communication du sens même des textes.

Comme beaucoup de grands artistes des musiques actuelles, les troubadours étaient à l’évidence de grands diseurs, et savaient capter leurs auditeurs, par l’intensité de leurs histoires, comme de leurs interprétation. Cette dimension nous paraît tout aussi importante, que la réflexion sur la lettre, et la restitution de l’univers sonore.

Nous travaillons sur des sources manuscrites, que nous choisissons exprès de “spécialiser”: nous gardons la lecture d’un manuscrit, plutôt que de pratiquer dans nos transcriptions une synthèse idéale de tous les manuscrits existants. Chaque version a sa légitimité, et nous aspirons à leur donner une chance. C’est dans cet esprit que les copistes les ont fidèlement notées. Certaines chansons, comme la célèbre lauzeta de Bernart de Ventadorn, connaissent pas moins de 11 versions musicales différentes! Où est l’origine, où est LA vérité, dans tout cela? Et… sommes-nous certains, au demeurant, que les créateurs eux-mêmes n’aient pas, à l’occasion, proposé plusieurs musiques pour une même chanson? Nous choisissons pour ces raisons de faire parler les manuscrits… sur lesquels nous n’intervenons qu’en cas d’urgence (dégradation, oubli).

Autour des projets de l’ensemble, nous organisons des médiations, allant de l’ouverture à des publics ciblés de nos répétitions, jusqu’à des conférences (faisant intervenir d’autres acteurs, spécialistes de ces questions), en passant par des rencontres, des ateliers, etc…